En vol pour Berlin

  Le dirigeable LUFFTRAUM se rapproche de plus en plus de Berlin. Lorsqu'il a quitté Posdam, et qu'il a traversé le nuage harmonieux des oiseaux, Rodolphe émerveillé par ce somptueux socialisme est allé voir le médecin chef pour demander si, médicalement, il pouvait se permettre de descendre à Berlin et d'y passer la journée complète. Celui-ci n'a pas répondu mais lui a promis une visite dans trente minutes. Pendant ce temps Anselme s'est pris lui aussi à regarder les grandes villes Germaniques dans la verrière, en utilisant les jumelles pour les petits détails.

     En apercevant nettement la petite localité de Dalhem, un quartier de l'arrondissement de Steglitz-Zelendorf au sud-ouest de Berlin, que le dirigeable est en train de survoler et que lui, Anselme, connait fort bien ! Une colère sourde le saisit de temps en temps face à tout ce gâchis stupide qui lui a valu des années de souffrances et d' errances parce qu'il était persuadé que la liberté et le bonheur était ailleurs ! Que ce quartier protégé était ennuyeux et lourd ! Qu'il était convaincu que ce grand pays maintenait un ordre parfait triste à mourir !

     C'est en étant confronté à cette horreur et cette souffrance des territoires du n'importe quoi, de l'extérieur de la Grande  Germanie que l'on peut se rendre compte à quel point on se sent heureux en Germanie ! Ça c'est la grande leçon qu'il en a tiré, mais il en souffre ! Il repense à son enfance heureuse dans ce monde où tout est beau et où l'on ne connait pas la souffrance et la misère. Il aurait aujourd'hui une magnifique femme Teutonne dans ses bras ! Avec, qui sait, un enfant ! En Germanie on est autorisé à avoir un seul enfant par couple, dans certains landers et deux dans d'autres pas plus !

     Si l'on tient compte d'une minuscule immigration très contrôlée dans le pays, en jouant sur les entrées et les sorties, la Grande Germanie a réussi à maintenir sa population stable depuis plus de cinquante  ans ! Il est déchiré entre tenter de refaire des démarches pour revenir en arrière ou garder cette stupide fierté qui le maintient dans le piège de ce mondialisme violent et dangereux avec, probablement à la clé, la mort au bout ! Car il sait que Laetitia la rouge, apprendra tôt ou tard, ils ne vont pas tarder en Germanie à envoyer un signalement. Et Laetitia a horreur de ceux qui mettent la pagaille, aussi lointaine soit-elle !

     Soudain, Anselme aperçoit son petit écouteur qui était dissimulé dans une de ses innombrables poches de sa veste d'aviateur ! Il sait que sans sa musique, il attrape le cafard ! En appuyant sur le petit bouton électronique, il déclenche cette musique de la chanson:

                                            « Il est libre Max »

     Oh oui, ça lui fait du bien, sans cela il serait déjà en train de se mordre la langue en maudissant cette jeunesse qui lui a tout fait foirer ! La sécurité, le bonheur, la beauté et cette maudite moto qu'il a fini par mettre au feu ! C'est que sa vie à Anselme on peut la comparer à un morceau d'acier que l'on a porté au rouge, puis que l'on a plongé dans un bac à eau froide avec la brutalité totale des états entre le chaud et le froid, la violence des éléments en présence et la stupidité d'une situation où, hyper protégé dans la douceur et le velours de l'ordre Germanique, il se retrouve dehors sous les intempéries avec les pires cauchemars humains que l'on peut imaginer !

     Il a du s'adapter à des choses incroyables que, lui même , ne pouvait supporter ! La France poste débâcle mondialiste, la débrouille, les humiliations, les vols, les coups, les tempêtes, les inondations, les flaques de mercure qui remontent du sol et qui empoisonnent l'eau, les déchets industriels séculaires des profits de l'ère perverse et vicieuse de cet ancien capitalisme qui continue à tuer, plusieurs siècles après, l' impossibilité de serrer une jolie femmes dans ces bras tellement la mort est présente à chaque instant ! L'obligation de donner des coups pour le moindre bout de pain, l'obligation d'en recevoir pour garder un gîte quelques jours de plus, surveiller à chaque instant, doser, jauger, juger si son interlocuteur est susceptible, malade, drogué, s'il ne va pas sortir d'un seul coup un couteau pour le planter dans le gras du bide ! Jamais il ne pourra oublier à quel point il a fauté sur sa vie ! Il en conservera toujours les cicatrices de l'ignorance dont il a fait preuve !

                            « A ça, il est libre Max, Pour sûr ! »

           « Il met de la magie mine de rien dans tout ce qu'il fait »

           « Il travaille un petit peu quand son corps est d'accord »

           « Il ne fait pas de bruit, il ne joue pas du tambour ! »

           « Et bien sûr toutes les filles lui font les yeux de velours »

       Mais il sursaute il aperçoit Rodolphe de retour de son escapade chez le médecin chef avec le traducteur !

       Rodolphe lui, est resté jeune et insouciant ! Il n'a pas vu le quart du dixième des horreurs à Anselme, on ne sait pas pourquoi mais il est sûr qu'il est du bon côté et il ne va surtout pas chercher pour tenter d'aller chez le diable ! Pas fou le Rodolphe ! On ne sait pas pourquoi mais il sait, il comprend, il a l'intelligence d'analyse qui lui fait gagner du temps ! Beaucoup de temps ! Et surtout une qualité de vie avec les voyages au dessus de la Germanie en plus. Rodolphe a repris les jumelles, il contemple à nouveau les habitations en raz de campagne, il regarde attentivement ces habitations révolutionnaires, toujours chauffées naturellement, sans aucune dépense énergétique polluante, sans aucun rejet qui semblent puiser une énergie sans fin dans la terre ! Ça et là des brumisateur géants pour « compenser » les pertes d'humidité à l'intérieur des agglomérations par rapport aux campagnes, ce qui fait que la chaîne de l'humidité n'est jamais interrompue ! Ici un équilibre harmonieux des pluies et des vents !

       Puis il y a toujours ces tubes à très grande vitesse ou les transports se font en toute sécurité avec une conception entièrement révolutionnaire ! Les animaux passent librement sans jamais être « écrasés » comme à l'époque barbare du capitalisme stupide et meurtrier ! Et pourtant, certains véhicules se déplacent à 600 km /h !

        Et il découvre ce qu'il n'avait jamais remarqué auparavant ! Les transports de marchandises, énormes problèmes des siècles précédents, la Germanie semble là aussi avoir résolu le problème par une solution aussi esthétique, qu'harmonieuse que non polluante ! Ça et là, des rangées gigantesques de magnifiques containers décorés ! Ils sont des centaines de milliers, ils ne sont pas sur des camions bruyants et polluants avec des tonnes de poussière ? Ils ne sont pas non plus sur des wagons avec des trains bruyants ! Ils paraissent immobiles et inoffensifs, silencieux, pourtant ils se déplacent, Rodolphe voit bien avec ses jumelles que ce groupe de containers vient de Dortmund, enfin ils voyagent depuis douze heures, alors qu'est-ce qui les déplace sans que ça se voit ?      

         Rodolphe se gratte la tête, il cherche à comprendre le mystère du transport des marchandises en Germanie, pas moyen ? En fait ce qui frappe dans ce pays, c'est le dessin artistique de chaque véhicule, de chaque container, de chaque réalisation, de chaque bâtiment où l'on pousse la recherche graphique et plastique jusqu'à harmoniser chaque forme de chaque véhicule avec le paysage alentours !  Ici, pas question de faire la grande série des caisses à savon du XXI è siècle, toutes avec la même forme d'un ennui mortel ! D'autant que le concept de marché libre a été aboli. Il a été remplacé par la grande découverte d'il y a trente ans, la production individuelle à partir d'une technologie en kit, assemblée dès la fin de sa formation à l'école et à l'université !. En terme clair, un jeune qui sort de ses études part avec un capital, pour lui donner les mêmes chances que les autres, son habitation et son véhicule « individualisé » qu'il a lui même monté et personnalisé et qu'il sait réparer !

       Ce qui veut dire qu'il ne ressemble pas à l'autre !  Qu'il respecte toutes les conditions environnementales au cours de son déplacement !  En fait, il n'y a pas de normes, trop stupide, trop perméables aux tricheries et aux magouilles, trop faciles à contourner, trop impersonnelles et stupides !   Non, il y a une étude de chaque système au cours de la formation du jeune, les questions relatives à l'environnement y sont abordées, ce qui ne pose pas de problème car on démontre aux jeunes que notre vie dépend de notre corps et que notre corps dépend de la nature ! Donc notre bonheur dépend de la nature, si on ne la respecte pas, on se comporte  comme un voyou et on prépare notre malheur comme à l'époque du capitalisme ! Par exemple, les questions sur le bruit, sur le matériel !

     Et oui dans ce socialisme durable, chacun est responsable du véhicule roulant, quelqu'un qui ne veut pas de contrainte devra se contenter d'un véhicule moins fiable mais qui posera moins de problème, lorsqu'il aura des comptes à rendre sur la disparition de son véhicule ! Comme chaque véhicule est personnalisé ça ne pose pas trop de problème en cas de fraude ! Les vols étant impossibles puisque chaque véhicule comporte sa propre commande et sa propre signature, celle de son concepteur, le propriétaire ! Qui n'est pas comparable à l'autre.

       Tout à coup, Rodolphe découvre définitivement le mystère du transport de marchandises, des millions de tonnes qui ne font jamais de bruit ni de fumée et qui semblent ne jamais se déplacer:

                    « Ça n'est pas dieu possible, je n'en crois pas mes yeux » Dit-il