Optimisme à bord du croiseur

   Cela fait une demi heure que le croiseur se débat avec cette vapeur qui sort de partout. La pression des chaudières a beaucoup baissé ! Le bateau a toujours ses machines en service mais il n'avance pas beaucoup et le colmatage se fait attendre. Pourtant l'opérateur radio de bord, a bien donné au commandant White le message de l'amirauté:

                « Gros remorqueurs arriveront sur place dans une heure. Votre opération a été un vif succès ! »

         Mais l'équipage n'est pas rassuré pour autant, on raconte que le cuirassé Germain peut tirer à plus de 30.000 mètres et faire mouche ! Quel est la vérité la-dedans ? La chaudière abîmée est en voix d'être colmatée. En attendant, le Belfast est d'une lenteur désespérante. L'équipage est à bout de nerfs et on attend toujours d'avoir connaissance de la position des remorqueurs.

         Une côte désertique et sauvage qu'on disait ! Drôlement sauvage, qui s'amuse avec des petites fusées à têtes chercheuses ! Et drôlement précises en plus de ça. Il y a cinq blessés à bord, qu'on soigne activement dans l'infirmerie. Malheureusement, on regarde plutôt le bulletin qui s'affiche et qui indique en temps réel la position du THOR, qui a été aperçu il y a cinq minutes par un observateur côtier, à une vitesse de 38 nœuds, c'est énorme, ça  le met à moins de soixante dix minutes de portée de tir ! Le commandant White garde un calme étonnant, froid et discipliné il ne laisse rien paraître de l'inquiétude des officiers. De toute façon, il a laissé entendre que le Royaume ne laisserait pas le cuirassé nous détruire. Mais il reste très évasif sur la façon dont notre Royaume va s'y prendre sans déclencher une guerre mondiale !

                Finalement tout le monde reste sur les estimations précises de notre commandant en second doué et érudit, le lieutenant Flecher. D'après ses calculs, en tenant compte de la vitesse du gros cuirassé Prussien et de la position « relativement proche » des deux gros remorqueurs, le cuirassé n'a pratiquement aucune chance de nous atteindre. Ou bien il faudrait qu'il poursuive jusqu'aux côtes britanniques. Il ne le fera probablement pas ! Et le lieutenant Flecher ne se trompe pas. C'est le stratège du croiseur britannique. Il calcule tout. Pour le moment le moral reste optimiste dans le croiseur Britannique. Il est maintenant 13h30 et les bonnes nouvelles arrivent. On vient d'apprendre que le colmatage de la chaudière avance et que la pression des chaufferies  monte. La vitesse du croiseur va bientôt augmenter. On entend déjà un peu mieux tourner les machines.

          Les remous des quatre hélices fournissent une écume plus convaincante. Le spectre du terrible colosse Teuton Germain s'éloigne au fur et à mesure que le croiseur augmente sa rapidité.

         White annonce:

                         « Si ça continue, on n'aura plus besoin des remorqueurs »

          Flecher répond:

                          « Ouf, on a bien failli y passer »

          Un officier mécanicien se présente et annonce à White:

                          « Chaudière colmatée mon commandant »

          Tout le monde applaudit, le commandant propose une tournée générale pour les officiers. Puis il ordonne aux machines:

                          « 31 nœuds »

           La structure du croiseur s'ébranle, les hélices se mettent à tourner à plein régime. L'équipage vient d'apprendre la bonne nouvelle. Pour tout le monde, c'est déjà la fête, on est à Londres cette nuit. La mer n'a jamais été aussi belle. C'est magnifique.

           Il est quatorze heures, tout le monde se détend devant un verre. Dans le carré des officiers, les conversations vont bon train. On blague, on spécule, on avance. A partir d'un certain nombre de verres, on avance un peu n'importe quoi.

            Finalement le lieutenant Flecher a réussi à se procurer des photos de ce monstre technologique THOR et de ses structures massives ainsi que du pirate Elmut ! Les photos circulent.

                       « Ce squale gigantesque nous aurait englouti ! » Annonce un officier !

                       « Pas de doute la dessus » Dit un autre à moitié éméché et heureux d'avoir joué au manège de la peur et du danger.

                       « Ce pirate bolchévique est effrayant » Annonce un autre protagoniste.

                       « Et dire que ça veut nous donner des leçons » Dit un dernier visiblement éméché.

              Il est 14 h lorsque sur le pont des embarcations, à l'extérieur des bâtiments, tribord exactement, le jeune mousse Andrew surveille la surface ridée de la mer du nord. Depuis quelques secondes, son regard est intrigué vers quelque chose de tout petit très loin. Il a une excellente vue mais sa vue se brouille tellement ce truc est éloigné. Ça avance et ça suit notre croiseur. C'est petit, très petit !  Une vague, ça plonge un peu, un creux, ça sort et ça se prolonge par un tube cylindrique ! Il s'écrie:

                      « Mon dieu ! »

    Il s'agite, fait des signes à un autre marin sur le pont plus haut, qui ne voit rien ! Il crie:

                         « Un.....un.....un péris......un périsco......Un périscope ! »

              Plus haut, le marin crie:

                         « Un sous-marin »

              L'officier de pont crie dans l'interphone:      

                          « Périscope de sous- marin visible à tribord »

            Flecher téléphone à la grande salle, le commandant se précipite et donne l'ordre à tout le monde de rejoindre son poste. Puis il monte à la passerelle, horreur, il voit au loin deux lignes parfaitement parallèles qui se rapprochent rapidement !

                           « Non de dieu » tonne Flecher !

            Le commandant essoufflé crie à la timonerie:

                           « TRIBORD TOUTE »

            Mais le croiseur de 11500 tonnes tourne très, très, très lentement, trop lentement ! Les deux lignes menaçantes se rapprochent vite, trop vite, le commandant ajoute:

                           « MACHINES A FOND »

            Le croiseur taillé pour la vitesse et le combat commence à pivoter, le front en sueur, Flecher voit ce qui sont vraisemblablement deux torpilles, s'approcher ! D'un regard rapide il jauge les distances, les vitesses, la rotation du croiseur, il lui semble qu'une torpille passera probablement à côté ! Mais l'autre ??