Rodolphe découvre la Germanie et ses habitants

   Cela fait plusieurs heures que le grand dirigeable est amarré sur cette tour au sud est de Berlin. Tous les voyageurs sont descendus en empruntant cet ingénieux système hélicoïdal dans l'intérieur de la tour. La vue y était magnifique et il ne fallait pas être pressé de descendre. Rodolphe est heureux. Il a obtenu l'autorisation du médecin-chef de descendre à Berlin. On lui a retiré son intra-veineuse. En bas ils se sont dirigés vers le pub de la grande habitation d'en face. Cette grande construction futuriste triangulaire où les vitrages nombreux exposés sud remplacent la chaleur grâce au soleil. Il se sent en pleine forme à l'intérieur de ce grand pub collectif, à côté d'Anselme, avec une boisson fraîche, devant un écran géant, que tout le monde peut admirer.

   C'est la première fois qu'il se déplace à l'intérieur de ces gens qui vivent une société sécuritaire et juste. Anselme a été très surpris que les autorité du pays le laissent pénétrer dans cette grande ville où, il y a quinze ans, il était devenu indésirable. Il a pris la décision de se rendre dans cette grande maison communautaire, pour y retrouver sa nationalité. Il y proposera ses services. Les choses ici sont très inhabituelles. Tout le monde se rassemble dans cette grande salle pour comprendre l'actualité, discuter, échanger des points de vue. Peu de gens restent cloîtrer chez eux pour y regarder une télé individuelle et y mener une vie d'égoïste seul et isolé du monde.

      C'est ce qui frappe à première vue, tout visiteur, venu de l'extérieur. Pendant que les sociétés d'égoïstes s'évertuaient à lutter contre les bars, les lieux de rencontre et les lieux d'échange en cultivant haine et racisme primaire, notre socialisme actuel encourage les pubs, les salles de rencontre, les loisirs (non payants) et les lieux communs. Ni la boisson, ni les stupéfiants y sont combattues. Ici, chacun et chacune est libre de boire dans les parties qui leurs sont consacrées. Mais contrairement au passé révolu des sociétés capitalistes d'antan, personne ne se sert de ces « drogues » pour se tuer ou se ruiner la santé. Si quelqu'un boit, c'est qu'il le fait en connaissance de cause car il est adulte responsable. Ici on n'infantilise pas les adultes en fonction de leur déchéance financière. Par contre, des gosses qui font des bêtises sont sévèrement réprimés ! Les mineurs sont durement cadrés et il n'y a aucune tolérance. Ce qui compte, ce sont les lieux de rencontre et les échanges. Tout le monde se connait, il n'y a pas d'anonymat. Il n'y a pas non plus de laissé pour contre. Si une personne s'absente trop longtemps du pub sans donner signe de vie, les autres vont voir. Le problème apparaît alors au grand jour et il y a toujours une solution car l'abandon, dans ce socialisme, ça n'existe pas.

     Les femmes laissent traîner leurs sacs, leurs affaires, le vol n'existe pas car l'argent ici, n'est pas important. Derrière, par la baie vitrée, on peut apercevoir le long fuselage du dirigeable en amarrage. Rodolphe apprend très vite, il essaie de retenir les mots courants. Il a la ferme intention de parler la langue rapidement. Ça tombe bien, tout le monde a remarqué leurs nouvelles têtes. Du coup Anselme n'arrête plus de répondre aux questions. C'est une curiosité insatiable qui s'annonce: On vient d'apprendre que nos deux aventuriers viennent de France! L'ensemble du pub est taillé comme un temple, avec des alvéoles. Dans chaque alvéole, des tables, des chaises et un grand écran. Nos deux aventuriers choisissent la salle qui suit l'écran sur l'actualité. Rodolphe constate que tout est gratuit, les boissons, le restaurant ! Anselme explique à Rodolphe que Berlin est communiste, il n'y a plus d'argent depuis longtemps, tout est partagé ! Rodolphe en a presque peur de cette trop grande insouciance ! Il faut bien que quelqu'un fasse le boulot ? Mais Anselme explique que tout est automatisé, robotisé, les gens se servent et nettoient et entretiennent eux-même. Ils se battent même pour faire les corvées. L'homme ici se met en valeur par son utilité sociale dans la communauté et non par un quelconque porte-monnaie bien garni. Il ne faut pas comparer l'état d'esprit ici avec celui que l'on peut voir chez les requins de la mondialisation extérieure. Ça n'a plus rien à voir du tout. Ici il y a d'autres réflexes, d'autres méthodes, d'autres cheminements de pensée. Sur l'écran, tout le monde est intrigué par les évènements en France.

     Les gens font des grimaces lorsqu'ils aperçoivent certaines images de terreur sur des visages Français, tourmentés à ce point par le manque de nourriture, de logement et de soin ! On se pose des questions, pourquoi ne se sont-ils pas décidés tout de suite pour construire le socialisme protecteur et précieux ? Mais les images des troupes Sarkpoléoniennes sur le sol Français, avec une guerre qui d'ailleurs, n'est toujours pas finie, montre à quel point, ce socialisme là sera difficile là-bas.

    Tout à coup une journaliste explique qu'une gigantesque tornade vient de détruire le nord de Londres où, miracle, des armes terribles s'apprêtaient à prêter main forte aux troupes de Sarkpoléon !

    Les gens du pub applaudissent tous en même temps, longuement et remercient le ciel de cette bonne action.

    Rodolphe demande à Anselme de lui expliquer ces applaudissements. Anselme explique que, grâce au ciel, la révolution en France est sauvée ! Mais Rodolphe reste septique et trouve que le socialisme aujourd'hui a drôlement de la chance. Finalement Rodolphe comprend que la nature humaine n'est pas si mauvaise que ça, puisqu'elle s'intéresse de cette façon à des humains dans la difficulté de l'autre côté de la frontière.

   Puis retours en Germanie ! Aujourd'hui s'est tenu le procès d'une famille des temps anciens, responsable de la ruine de plusieurs économies et de plusieurs millions de morts sur la planète. Ce sont les descendants d'un milliardaire d'origine Hongroise, qui, à la fin du XXè siècle inventa un produit financier redoutable sur la spéculation. Ce nouveau produit donna naissance à des spéculateurs encore plus criminels, les descendants de ce milliardaire, qui ruinèrent tout un tas de gens, aux XXIè siècle et XXIIè siècle.

   Ils devinrent tellement riches qu'ils se rendirent responsables de millions de morts, parfois de pays entiers ! Puis ils furent à l'origine de la guerre des Balkans, qui faillit se transformer en guerre mondiale et qui causa tout de même huit millions de morts supplémentaires. Enfin une autre guerre en Russie, compléta le tableau à la fin du XXIIè siècle. Des partisans français ont tendu un piège aux descendants de cette famille. Ils leur ont proposé une affaire énorme. Ils ont été surpris et faits prisonniers. Ils sont jugés aujourd'hui ici à Berlin, capitale de la justice et du droit à la vie équitable pour tous, un concept qui n'avait jamais existé dans aucun pays depuis que le monde existe.

   Ils sont trois et ont accepté une partie l'immense fortune de leurs aïeux. La fortune colossale est difficile à évaluer. Une somme astronomique. Et comme d'habitude, ils argumentent « non coupable » des crimes consécutifs aux actions boursières et affairistes de leurs lointains ancêtres lorsque ceux-ci officiaient à la city, à Londres, condamnant à la ruine des sociétés, des économies et des pays avec leurs méthodes de requins.

   Leur lointain ancêtre, en 1992 avait inventé le « hedge fund » et bien d'autres inventions géniales pour ruiner davantage et plus vite. Aujourd'hui que nous sommes à l'heure des comptes et des bilans, nos descendants découvrent avec effrois, les visages tourmentés et le sort de ces gens, qui n'ont pas eu droit à une vie normale parce qu'il y avait, des prédateurs meurtriers, leurs parents et grands-parents. Et l'éternelle question du journaliste informateur qui présente le reportage, devons-nous faire payer aux descendants, des actes monstrueux des ancêtres qui se sont mal conduits ? Mais la réponse s'impose à chaque fois, il faut bien que quelqu'un paie la note, sinon ça ne s'arrêtera jamais. Et de rappeler qu'il existe des descendances qui refusent tout héritage voyous et qui s'achètent une bonne conduite ! Le choix d'être honnête et humble est donné à tous en Germanie.

  Comme d'habitude, les huit premiers jours de ce grand procès commencent par la présentation de familles, descendants de paysans et de commerçants, ruinés par des siècles de pratiques déloyales. Certains ont été ruinés par l'état, ici il s'agit de pays dont les banques ont été attaquées par ces pratiques. Puis, des milliers de gens qui n'ont pas pu rembourser des crédits devenus impayables. Au bout de huit jours, la colère est à son comble. Des milliers de paysans, obligés de vendre leurs biens, leurs outils de travail et leurs terres pour payer leurs dettes !

   Les deux frères semblent impassibles. Malgré les crachats et les insultes, ils continuent à défendre leur ancêtre voyou ! Mais la sœur semble comprendre les drames humains engendrés par un tel égoïsme et une telle indifférence aux autres ! Elle éclate en sanglots. Le tribunal finit par arrêter le défilement de témoins et de « gens ruinés » venus tout spécialement en Germanie pour ça, mais obligés de repartir dans ce mondialisme pourri pour y terminer une existence misérable. Le défilé des témoins reprendra demain à l'aube, annonce le président du tribunal. Ici, en Germanie, on ne commence pas un procès de cette importance si on a pas vu l'étendue des dégâts et si on n'a pas constaté un début de repentance de la part de ceux qui continuent à défendre ce fascisme mondialisé avec tous les drames qui l'accompagnent. Anselme traduit à Rodolphe et en profite pour lui expliquer les mots de cette langue un peu hachée. Sous le regard compréhensif des « camarades » présents dans le pub, tous solidaires du combat contre le fascisme et l'intérêt individuel des nantis qui ont perverti une bonne partie de ce monde. Rodolphe est admiratif devant cette recherche de justice et ces grands procès qui, espère-t-on fera désormais réfléchir les futurs malfaisants !