Margaret s'interroge

  Margaret est partagée entre la tristesse et la colère en voyant dans le journal la photo du croiseur dans un piteux état, le croiseur de bataille qui a fait une sortie alors qu'il reposait depuis des siècles en temps que musée de la marine de sa majesté et représentait le passé glorieux du royaume au XXè siècle. Il faut dire qu'il n'y a rien pour lui remonter le moral en ce moment. La carcasse de ce qu'il reste de ce bâtiment flotte encore, c'est un miracle. Où sont passés les trompettes et tambours de son départ ? Envolés, disparus ! La coque est brûlée en plusieurs endroits. Sur le pont, les pièces et les tourelles sont déglinguées, retournées, arrachées par, vraisemblablement des explosions. Tout autour de l'endroit où il coulait des jours calmes, une foule inépuisable s'amasse et crie vengeance. Elle se rappelle cette foule déchaînée qui croyait que le croiseur allait faire la loi dans tous les océans. Mais elle, Margaret ne s'était pas trompée. Elle avait vu la photo du Teuton Germanique, elle avait pu constater que la bataille était inégale et perdue d'avance.

  Et puis il y a cette foule de gens déchaînés qui lèvent les poings en l'air ! Margaret se rapproche. Il y a au milieu de la foule des jeunes qui organisent des combats de chiens.  Deux molosses entraînés pour tuer se déchiquettent littéralement ! Pendant qu'une bête pleure de ses blessures, que son maître lui envoie des coups de pieds afin qu'elle reprenne le combat, les billets de banque et les paris s'accumulent dans le petit panier qui attire de plus en plus de monde.

  Ce petit combat a l'air passionnant, les cris deviennent de plus en pus insupportables, il y a du sang partout, l'une des deux bêtes meure lentement dans des conditions atroces. Mais finalement, devant une telle misère humaine, tout est permis, même de regarder les bêtes s'entretuer pour le plaisir des hommes ! les autres chiens qui attendent leur tour de vaincre le molosse resté en vie ! Dès que la perdante sera décédée, on lui enlèvera son collier et un autre combattant entrera dans l'arène ! L'essentiel c'est que les paris rapportent à ces voyous de quoi manger, se distraire et acheter d'autres bêtes pour amuser la galerie. C'est aussi ça le libéralisme, la liberté de s'exprimer, la liberté de marquer sa différence voir sa supériorité !

   Depuis ce matin, Margaret a ramassé une demi-douzaine de cadavres dans la Tamise. Et la situation est loin de s'améliorer, un peu partout la famine gagne du terrain au fur et à mesure que les prix des denrées alimentaires s'envolent. Le marché mondialisé est totalement incontrôlable et, comme d'habitude, les ordres d'achat, de vente, sont donnés par des gens qui n'ont rien à voir avec le Royaume uni. Beaucoup de groupes financiers qui mènent ces marchés ont leurs bureaux dans d'anciennes colonies britanniques. Et ils n'ont pas l'intention de faire plus de cadeaux que les britanniques en faisaient jadis, à leurs subordonnés. C'est de bonne guerre ! Mais c'est dur pour le simple sujet de sa majesté qui voit ses moyens de subsistance réduits à la simple portion congrue. Souvent parce qu'il doit payer l'intransigeance de la haine envers les anciens qui ont mené la grande vie en voulant affamer des peuples soumis devenus aujourd'hui leur maître !!

  Margaret marche le long de la Tamise, elle observe tous ces ponts métalliques qui ont été démontés au moment de la sortie du croiseur. On ressoude les rivets, on refait les pistes et les voies. Margaret sent bien que le monde va de plus en plus mal. Tout ceci est anormal bien sûr. La guerre, la violence, les menaces se font de plus en plus précises. Il n'y aura jamais de paix sur cette terre, c'est à se demander ce qu'on fait là!

  Margaret a acheté le journal pour essayer d' en savoir un peu plus sur tous ces bruits de réarmement  et de guerre à une époque où les trois quart de la planète n'a plus rien à manger. En fait il est écrit que le roi est en difficulté suite à une crise qui aurait éclaté sur une côte Flamande en mer du nord. Le royaume uni a toujours combattu pour le monde libre, lit-on ! Or la mondialisation est de plus en plus contestée. Avec tout ça, les marchés libres disparaissent les uns après les autres lit-on encore. Apparemment, le croiseur aurait eu pour mission de sauver un territoire flamand d'une dictature dirigiste et collectiviste. C'est au cours d'une opération de pilonnage des positions de rebelles collectivistes sur cette côte que les choses ont mal tourné!  Le croiseur s'est retrouvé en affrontement avec le cuirassé, il s'est bien battu. Margaret ne comprend pas pourquoi le croiseur y est allé alors que la bataille était inégale !

  Finalement, Margaret continue d'observer toute cette violence et cette misère de plus en plus insupportable. Ce soir, elle essaiera de comprendre en quoi cette mondialisation représente le monde libre ? Personne ne se sent libre ici, les prix flambent et la misère gagne chaque jour un peu plus de terrain. Margaret commence à se demander si la vraie liberté, ça n'est pas plutôt de quitter cette mondialisation qui n'assure plus rien depuis bien longtemps et peut-être, adhérer à un monde plus solidaire ! Ça pourrait expliquer bien des choses et notamment le choix fait par ce petit territoire belge ! Décidément Margaret cogite beaucoup, elle se méfie de plus en plus des journaux et de leurs interprétations des faits.

  Le soir même, Margaret apprend qu'un porte-avions, pourrait être opérationnel d'ici deux ans. Le HMS Prince-of-Wales serait remis à flots pour les forces navales britanniques. D'une technologie beaucoup plus complexe que n'a été le HMS Belfast, il permettra à des avions d'attaquer en tout point du globe. Devant une telle montée des affrontements, Margaret finit par comprendre que tout ça finira mal ! La condition humaine serait-elle un éternel recommencement vers les mêmes errances ? Les mêmes guerres ?